Les technologies numériques en réseau font maintenant l’objet de nombreuses études dans la plupart des champs disciplinaires : sociologie, anthropologie, sciences de l’information et de la communication, art, philosophie… Ces études analysent leur objet au prisme de leur modèle épistémologique et en le ramenant souvent à des objets ou phénomènes connus. Or, ces modèles explicatifs ne fonctionnement pas très bien. S’il semblent capables de rendre compte d’événements particuliers au sein de cet environnement, ils échouent à rendre compte de sa dynamique globale. Comment Interent évoluera-t-il dans les années à venir ? la question reste posée aussi bien sous l’angle des technologies qui s’y déploient que de ses usages, des modèles économiques, que de la gouvernance. Cette incapacité des observateurs et des acteurs à anticiper les évolutions à venir a des effets très négatifs : en constant décalage avec les objets qu’elles abordent, les analysent deviennent vite obsolètes et partant, inutiles.
La proposition faite ici repose sur l’hypothèse que les réseaux numériques créent un environnement qui n’est pas sans relation avec les différents environnements (physiques, sociaux, politiques, économiques) que nous connaissons déjà, mais qu’il ne s’y réduit pas. L’environnement numérique est doté d’une singularité irréductible à tout autre, dont il faudrait sans doute chercher l’origine dans la notion d’information (Le moment cybernétique), elle même irréductible à la notion de signe d’un coté, de signal de l’autre. Cette démarche archéologique n’est pas opportune ici ; elle est repoussée à un autre moment. Ce qui est important est de délimiter, d’identifier et de qualifier cette singularité irréductible de l’environnement numérique en réseau sans cherche à l’expliquer dans l’immédiat. La proposition est de suivre l’intuition qu’ont porté immédiatement les premiers utilisateurs du réseau en considérant cet environnement comme un espace.
Qu’est-ce qu’un espace ? C’est un système persistant (indépendant de la conscience de l’observateur) de relations entre des objets ou des agencements co-existants. Un espace, c’est ce qui permet à deux objets de co-exister sans se confondre, en leur assignant des positions différentes. Un espace definit donc une relation de distance au minimum entre ces deux objets. Comme les hackers des premiers temps, comme William Gibson, il faut donc considérer notre environnement numérique comme un cyberespace, c’est-à-dire comme un système de relations entre des objets numériques coexistants, doté de propriétés qui lui appartiennent.
Ces propriétés qui affectent tout objet inséré dans cet espace, tout objet numérique en réseau, peuvent être classées en trois grandes catégories. Ce sont les trois dimensions du cyberespace.
1. Computabilité : le cybespace est fait de programmes informatiques eux-mêmes constitués d’instructions. Les objets que l’on trouve ne sont donc pas statiques mais dynamiques : pour l’essentiel, ils ne « sont » pas, ils « font » ; ils sont donc dotés d’un pouvoir génératif. C’est la computabilité du cyberespace qui crée des événements en son sein, qui y crée donc du temps.
2. Réticularité : ces objets sont « en réseau » : outre le fait qu’ils coexistent, il sont aussi explicitement reliés les uns aux autres. Le lien hypertexte qui est à la base du web a donné une dynamique importante à cette dimension qui lui préexiste (et lui survivra). La réticularité permet d’organiser les déplacements de l’information au sein de cet espace.
3. Discursivité : la matière même du cyberespace n’est pas faite de silicone mais de « discours », c’est-à-dire d’agencements de signes produisant du sens. C’est la discursivité qui permet de lester les événements et finalement le temps cybernétique d’une dimension historique. C’est par le discours qu’est produite une histoire du cyberespace.
Comme pour tout espace, on peut donc définir une physique du cyberespace : les lois de fonctionnement auxquelles sont soumis les objets qui lui appartiennent. On a déjà évoqué une histoire du cyberespace. Mais il existe aussi une économie du cyberespace, qu’on a plutôt tendance à qualifier aujourd’hui d’économie de l’attention. On doit parler évidemment d’une politique du cyberespace, dont les règles de gouvernance sont très différentes de celles que nous pouvons connaître pour gouverner les espaces physiques. Existe-t-il une éthique, une métaphysique du cyberespace ? Certainement. Mais les contours en sont moins marqués.
Quelle peut être l’utilité de déployer tout un appareil aussi compliqué ? Ne peut-on en faire l’économie pour comprendre ce qui se passe sur Internet ? Il ne semble pas. Fonder en théorie l’intuition du cyberespace et en déployer toutes les conséquences permet de regarder la réalité numérique d’une autre manière, et d’en comprendre la dynamique de développement.
On peut l’appliquer par exemple au livre numérique : http://cleo.revues.org/179 et
Les différents types d’édition numérique, par Pierre Mounier from ARL PACA on Vimeo.
mais aussi aux questions de gouvernance : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00007611
et