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21 octobre 2021

LE GRAND GROUPE IMMOBILIER INTERNATIONAL EVERGRANDE EN CHINE COMMUNISTE VA-IL ALLER VERS LE KRACH FINANCIER ?

 

ECONOMIE SUR L'IMMOBILIER
EN CHINE COMMUNISTE 
Evergrande : le krach ?
 

Evergrande est l’un des premiers opérateurs immobiliers mondiaux et un acteur majeur de la scène économique chinoise. Il accumulé une dette colossale à hauteur de plus de 300 milliards de dollars. Or du fait notamment que ses centres commerciaux ont été fermés pendant la crise du Covid-19 et que les ventes immobilières se sont ralenties, il a déjà manqué plusieurs échéances de paiements d’intérêts. La valeur de ses obligations sur le marché s’est effondrée et sa notation s’est dégradée dans la plupart des agences à un niveau spéculatif ou de quasi faillite.

La faillite d’un opérateur immobilier gigantesque rappelle de tristes souvenirs, et à raison. L’immobilier est en effet la première classe d’actifs, et présente deux caractéristiques : sa valeur peut fluctuer de façon importante, et il est en général peu liquide, surtout en cas de crise, car c’est un marché au détail, qui ne bénéficie pas de la liquidité des marchés d’actions ou de matières premières. Mais en même temps, par un paradoxe apparent, il tend trop souvent à être perçu comme sûr, surtout dans une économie en expansion, comme l’est la Chine. Résultat : des opérateurs et derrière eux des banques ou des prêteurs obligataires ont accumulé d’énormes créances sur le secteur, et en cas de retournement il n’y a pas de ressort de rappel naturel. C’est donc un des facteurs majeurs de grande crise systémique : vous savez, ces crises en domino, où chaque domino fait tomber le suivant. On l’a vu encore avec l’énorme crise des Savings and loans américaines début des années 90, d’origine immobilière, et bien sûr plus près de nous avec la crise de 2008, dont on tend à oublier le soubassement immobilier. Pour faire simple, l’actif perd une part appréciable de sa valeur ; et bien souvent il n’y a même plus de prix ; l’opérateur endetté ne peut plus rembourser ; de ce fait d’un côté ses créanciers sont à leur tour en difficulté, d’un autre côté le marché du crédit se contracte, parfois sauvagement, parce qu’on craint la contagion et que cela s’autovérifie.

Or en l’espèce cela tombe dans une Chine qui présente plusieurs motifs de préoccupation, à côté de fondamentaux rassurants. Certes le pays est créancier net à l’égard de l’extérieur, sa croissance reste forte (encore qu’elle ralentisse actuellement à moins de 6%, après la reprise qui a suivi la crise sanitaire) et le gouvernement non seulement paraît solide, mais a montré depuis 2008 qu’il n’hésitait pas, exactement comme ses homologues occidentaux, à dépenser sans compter pour éviter les crises ou soutenir l’activité. Quitte à accumuler ou laisser s’accumuler des montants colossaux de dette en interne. Notamment justement dans l’immobilier où les prix ont atteint des niveaux démentiels. Selon Lombard Odier, le rapport entre les prix est et les revenus est cinq fois plus élevé dans les villes chinoises que dans les villes européennes et américaines.

À cela s’ajoute une dimension politique. D’un côté le gouvernement ne peut se désintéresser du sort des millions de Chinois accédant enfin à la propriété en s’endettant pour acheter un appartement en construction sous Evergrande. D’un autre côté il ne voit sans doute pas d’un mauvais œil le coup de semonce aux investisseurs boursiers ou obligataires, en l’espèce ceux qui ont parié sur ce conglomérat aventureux, ne respectant aucun des ratios fixés par les autorités et diversifié de façon anarchique et inefficace. D’autant que parallèlement, sur un plan encore plus politique, le régime a sensiblement durci son attitude à l’égard des magnats qu’il a laissé s’enrichir dans la période précédente. Tant qu’on ne dérape pas, l’affaire peut donc être contrôlée et en un sens le servir. Ceci pour le scénario rose.

Mais il y a bien sûr un autre scénario. Sur un plan général, la croissance chinoise a été extrêmement rapide sur 30 ans et plus, même si elle rencontre un palier relatif ; or il est humainement invraisemblable qu’un tel rythme ne s’accompagne pas de déséquilibres importants et donc de crises. En outre, par construction, le régime, malgré sa compétence incontestable, n’a aucune expérience de telles crises financières. D’autant que les méthodes autoritaires ne sont pas nécessairement efficaces face à une panique boursière. Le scénario est alors celui-ci : qu’une spirale s’enclenche entre la baisse de l’immobilier, la multiplication des défauts, et une forme de panique dans le public, submergeant les interventions publiques. Un 1929 immobilier en quelque sorte. C’est concevable ; même si pour le moment il n’y a pas de fort signal en ce sens.

Mais au-delà, à nouveau il est impossible que la Chine ne connaisse pas un jour de crise importante. Son extraordinaire efficacité repose aussi sur une forme de croyance collective dans les vertus du volontarisme et du mouvement en déséquilibre avant – ce qui comporte ses risques. Le Japon n’a jamais retrouvé les prix de 1990 – qui suivaient plus de 30 ans de hausse…

Pierre de Lauzun

 

 

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ECONOMIE
Publié il y a 9 jours
ANALYSE
Chine : derrière la débâcle
d’Evergrande, la stratégie
politique de Xi Jinping

 

 

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Le Président Dictateur à vie Xi JINPING de la CHINE COMMUNISTE MODERNE 

 

Loin d'être pris par surprise par la chute d'Evergrande, c'est le Parti communiste chinois qui a demandé que soient coupés les canaux de crédit pour le géant de l'immobilier. (Source : Le Matin)
Loin d'être pris par surprise par la chute d'Evergrande, c'est le Parti communiste chinois qui a demandé que soient coupés les canaux de crédit pour le géant de l'immobilier. (Source : Le Matin)
Evergrande s’effondre et rien n’indique que le géant chinois de l’immobilier sera sauvé. comment le Parti-État va-t-il gérer les conséquences de cet effondrement ? En Occident, beaucoup fantasment rien qu’à penser aux dommages que cette faillite du groupe pourrait causer au Parti, dénonce Alex Payette dans cette analyse. Certains vont jusqu’à parler d’un « moment Lehman Brothers en Chine ». C’est méconnaître la crise financière de 2008. En réalité, la chute d’Evergrande aura plutôt un impact limité et assez contenu par le Parti. Quant à « l’effet de contagion » qui menacerait tout le secteur de l’immobilier, il est surtout politique. Car il y a toutes les raisons de penser que cette crise immobilière s’explique en grande partie par les luttes de pouvoir au sommet du Parti en vue du Congrès de 2022.
Le possible écroulement du conglomérat immobilier chinois Evergrande a monopolisé la Une des journaux du mois de septembre. À l’heure où sont écrites ces lignes, l’entreprise vacille. Elle semble avoir renoncé à la plupart de ses obligations de dettes offshore pour se concentrer sur le remboursement de ses créditeurs en Chine. Le 30 septembre, avant la fermeture de la bourse de Hong Kong pour le week-end, les obligataires d’Evergrande ont annoncé que la veille, la compagnie n’avait pas payé 47,5 millions de dollars en paiement d’intérêts sur une obligation venant à échéance en mars 2024. C’est donc le deuxième défaut de paiement d’intérêts en une semaine après celui du jeudi 23 septembre, quand l’entreprise n’a pas pu régler 83,5 millions de dollars sur une autre obligation offshore.
À la fin du mois de septembre 2021, la totalité de la dette d’Evergrande a atteint 305 milliards de dollars. Les perspectives d’avenir sont dès lors plutôt sombres pour le conglomérat et son fondateur, directeur et propriétaire majoritaire Xu Jiayin. Même son ami de longue date et partenaire de poker a commencé à céder ses parts à la fin septembre : le milliardaire immobilier en cavale Joseph Lau Luen Hung, qui avait soutenu financièrement Evergrande depuis des décennies jusqu’à récemment, alors même que l’entreprise connaissait déjà de sérieux problèmes d’endettement.
*À la décharge de Xu, une majorité de compagnies privées et même étatiques fonctionnent de la même manière c’est-à-dire une croissance alimentée par le crédit.
Mais de quand date vraiment la chute d’Evergrande ? Le groupe avait été nommé l’entreprise immobilière la plus importante – financièrement – en 2018. Sa chute s’amorce au début de 2019, quand la compagnie commence à émettre une grande quantité de dettes offshore. Même à l’époque, l’agence Reuters décrivait Evergrande comme « l’un des promoteurs immobiliers les plus endettés de Chine ». Les problèmes commencèrent à s’accumuler en automne 2019. Evergrande faisait alors face à 53 milliards de dollars américains en dettes arrivant à échéance. Ce cycle d’endettement s’est répété tout au long de 2020, l’épidémie de Covid-19 ayant décimé le marché immobilier résidentiel et commercial. Malgré tout, avec la diminution des coûts du développement immobilier au plus fort de la pandémie, Evergrande décide de diversifier ses opérations, notamment dans des villes de rang inférieur. Cette stratégie a sans surprise été alimentée par plus de dettes*. C’est en septembre que les craintes et les inquiétudes quant à la capacité d’Evergrande d’honorer sa dette se matérialisent, et que le cycle d’endettement rattrape finalement l’entreprise immobilière. La saga Evergrande est aussi spectaculaire qu’elle était prévisible. Elle est le résultat de politiques, mais aussi de la propre initiative d’Evergrande. Sa mauvaise gestion interne en est un exemple.

UNE EXPANSION TROP AMBITIEUSE

Dans l’ensemble, le succès d’Evergrande dans le secteur de l’immobilier est également l’une des raisons principales qui expliquent ses difficultés financières actuelles. Au fil des ans, l’entreprise a eu recours à l’endettement afin d’alimenter sa croissance tant dans le marché de l’immobilier que dans d’autres secteurs et industries. Un problème typique des entreprises chinoises.
Il faut tenir compte des contraintes structurelles du marché chinois pour les entreprises immobilières, surtout en matière de financement. Evergrande et ses pairs ont été obligés d’utiliser une variété de méthodes pour lever des fonds en passant par le biais de capitaux propres ou d’endettement via des prêts ou des émissions de dettes. Parmi ces moyens non conventionnels, les reconnaissances de dettes (IOU) offertes aux fournisseurs et aux entrepreneurs d’Evergrande, chose qui était toujours notée dans les livres de comptes de l’entreprise jusqu’à récemment. Un second moyen financier utilisé pour lever des fonds, et qui d’ailleurs a fait les grands titres, était l’utilisation de supposés produits de gestion de patrimoine, qui comprenaient en grande partie la dette d’Evergrande. Ces produits étaient vendus à des consommateurs au détail, mais aussi aux employés de l’entreprise, que l’on dit avoir été « fortement encouragés » à les acheter.
Pour ce qui est du financement par action, Evergrande a surtout eu recours aux contacts personnels de Xu Jiayin avec les magnats basés en Chine continentale et à Hong Kong. Ce qui, bien entendu, est un moyen « fiable » aussi longtemps que ces relations sont bien entretenues. Sauf que cette méthode est loin d’être la meilleure pour s’assurer la confiance du marché de manière générale.

L’EXPANSION D’EVERGRANDE

HORS DE L’IMMOBILIER

Aux alentours de 2010, Evergrande commence à faire des affaires dans des secteurs hors de l’immobilier. Cette année-là, la compagnie de Xu Jiayin achète un club de foot, le Guangzhou Evergrande FC, qui demeure actif à ce jour.
Evergrande fait dès lors plusieurs acquisitions dans l’alimentation et l’agriculture. Au point de conduire l’entreprise à produire sa propre marque d’eau minérale et à investir dans l’élevage de porcs dans le Guizhou. Evergrande poursuit ses achats dans de multiples secteurs en 2015 : une compagnie d’assurance renommée Evergrande Life, une coentreprise avec Tencent dans le secteur du divertissement et l’établissement d’Evergrande Health, dans la santé et le bien-être. En 2018, Evergrande fait même son entrée sur le marché des véhicules électriques via plusieurs achats. La compagnie phare dans ce secteur, Evergrande New Energy Auto (恒大新能源汽车), est même cotée sur la bourse de Hong Kong.
Ces acquisitions et avoirs diversifiés ont de toute évidence servi à renforcer l’image de la compagnie en la rendant reconnaissable et sa réputation sur le marché. Problème : ces transactions sont en majeure partie financées par des dettes. De plus, les filiales d’Evergrande dans ces secteurs demeurent généralement peu rentables. Ce qui implique davantage de dettes sans doute émises, soit par la holding principale, soit par les filiales elles-mêmes afin de financer leurs opérations.
*Cela ne signifie pas que Xu subira nécessairement le même sort que Wu Xiaohui (吴小晖), mais plutôt que leurs stratégies entrepreneuriales sont extrêmement similaires.
Quoi qu’il en soit, l’expansion ambitieuse d’Evergrande en dehors l’immobilier n’est pas surprenante. C’est au contraire chose courante chez les grands conglomérats chinois. Il suffit de regarder les trajectoires du groupe d’assurance Anbang (安邦保险集团)* et du groupe HNA (Hainan Airlines) pour deviner vers quoi se dirigeait Evergrande. Ce genre de stratégie – l’expansion alimentée par l’endettement – peut fonctionner pour des compagnies comme Alibaba, qui peuvent facilement lever des capitaux sur les marchés étrangers. Ce n’est pas le cas d’Evergrande.

MANQUE DE SOUTIEN DES

INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS

*Selon les normes de la bourse de Hong Kong, cela équivaudrait à une part de 5 % ou plus. Selon les normes aux États-Unis, cela équivaudrait à une part de 10 % et plus.
Un signe important de la confiance accordée à une compagnie cotée en bourse est la part plus ou moins importante des investisseurs institutionnels dans son capital*. Comme ces investisseurs ont pour mandat d’offrir des rendements à leurs actionnaires, leurs investissements sont habituellement prudents et assez conservateurs. Par conséquent, lorsque l’on retrouve des investisseurs institutionnels tels que BlackRock, Vanguard, JP Morgan et Goldman Sachs sur la liste d’actionnaires d’une entreprise, cela indique généralement que cette dernière est jugée un investissement « sûr ».
*Si nous prenons pour acquis qu’Evergrande ne possède pas d’obligation du trésor.
Or, sur la liste d’actionnaires majeurs d’Evergrande déclarée sur la bourse de Hong Kong, le seul actionnaire d’importance est Xu Jiayin (et son épouse qui, selon les normes réglementaires, est considérée comme agissant de concert avec lui), qui contrôle 76,26 % des parts. Il en résulte qu’aucun individu ni aucune institution ne contrôle 5 % parmi les 23,74 % d’actions flottantes restantes*.
En outre, Joseph Lau, l’ami de Xu, a réduit sa participation à moins de 5 % et n’apparaît donc plus sur la liste des actionnaires importants de la société. Du reste, aucun investisseur institutionnel ne se trouve dans les dossiers d’Evergrande, pas même en provenance de Chine – comme l’une des quatre grandes banques ou l’un des fonds souverains d’investissement tel que le Central Huijin investment (中央汇金投资) ou la China Investment Corporation (中国投资).
En ce sens, Evergrande et Xu sont perçus comme un investissement risqué et n’ont pas la confiance du marché. Il faut cependant admettre qu’Evergrande n’a pratiquement jamais eu recours aux investisseurs institutionnels lorsqu’il s’agissait de financement. Ce sont en grande partie les contacts personnels et professionnels de Xu qui ont financé l’émission d’actions de l’entreprise. En même temps, le financement par émission de dette a, lui, effectivement reçu l’appui financier d’investisseurs institutionnels. Mais l’histoire n’est pas si simple : ce type de soutien avait été sollicité en passant par des obligations à haut rendement (qui s’apparentent dangereusement aux obligations de pacotille). Citons par exemple l’obligation offshore en dollars américains d’Evergrande venant à échéance en mars 2024. Celle-ci offre un rendement alléchant de 9,5 % aux investisseurs institutionnels possédant une plus grande tolérance aux risques, ainsi qu’à ceux qui sont spécialisés en obligations de pacotille, en créances en difficulté ou en dettes décotées.
Cependant, la conséquence la plus grave de ce manque de soutien institutionnel est que les voies de financement par action sont à proprement dit inexistantes, surtout depuis que Xu a perdu la confiance de ses amis. Cela rend d’autant plus difficile pour l’entreprise de s’acquitter de sa dette – une tâche qui se fait de plus en plus pressante.

LE PARTI-ÉTAT, UN APPAREIL

ARCHAÏQUE D’ÉLABORATION

DE POLITIQUES

Il est tentant d’accuser Evergrande d’être la seule source de ses malheurs. Mais il faut tenir compte des variables structurelles qui ont, pour partie, contraint la firme de Xu Jiayin à s’engager sur cette voie hasardeuse.
C’est le moins qu’on puisse dire : le Parti-État n’a pas brillé dans ses capacités d’élaboration de politiques ces dernières années. Au contraire, les nombreuses volte-face politiques récentes et enquêtes réglementaires n’ont offert que peu de temps au marché pour réagir et s’ajuster. En effet, le Parti-État n’a toujours pas compris qu’il doit améliorer la manière dont il communique avec le marché, d’autant qu’il en est le participant le plus important. Pour Evergrande, les complications se sont présentées sous la forme de réglementations visant à sévir sur le marché immobilier secondaire en Chine. Pire encore, si les villes de premier et deuxième rangs réglementent avec force leurs marchés immobiliers respectifs depuis plusieurs années, le Parti a récemment imposé de nouvelles directives visant à calmer le marché immobilier national. Cela signifie que les projets d’Evergrande dans les villes de troisième rang (ou moins) font à présent face à des obstacles importants, non seulement lors d’acquisition d’actes fonciers, mais aussi à la vente d’appartements.
*Exemple le plus notable : la banque Minsheng (民生银行), qui a été établie comme la première banque commerciale chinoise détenue à titre privé par un groupe d’entrepreneurs ayant des liens avec le Shandong. Ses statuts autorisent les entrepreneurs à émettre du crédit à leurs propres compagnies sans avoir à faire avec les banques étatiques.
L’appareil d’élaboration des politiques du Parti-État est encore plus problématique. C’est aussi le cas de l’appareil du Parti-État en général, mais c’est nettement plus marqué dans le domaine de l’élaboration des politiques. En effet, une confusion structurelle existe entre les différents organes politiques responsables d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques. Ces organismes ont souvent des responsabilités qui se chevauchent et, depuis le début de l’administration Xi, les liens d’autorité sont de plus en plus flous. Par ailleurs, un vaste ensemble de législations et de politiques a été intégré aux structures réglementaires et législatives. Ces pratiques désuètes, qui ont sans aucun doute été utiles dans leur temps, contraignent à présent l’économie chinoise et rendent le développement économique actuel encore plus asymétrique. Cela oblige les entreprises à lutter pour leur survie – par le biais du patronage politique, d’abus des lacunes réglementaires et législatives, ou encore « d’innovation » qui s’observent surtout dans les voies de financement développées par les entreprises privées au fil des années*.

LES VOIES DE FINANCEMENT

TRADITIONNELLES INACCESSIBLES

AUX ENTREPRISES PRIVÉES

*On parle ici d’un Parti communiste et d’un État socialiste : cet arrangement n’a donc rien de surprenant.
Le problème existe pour les entreprises privées chinoises depuis les débuts des réformes. Le Parti-État a, de manière effective, mis en place un système dans lequel les entreprises d’État ont l’avantage sur les entreprises privées*. Même parmi les entreprises privées, les plus imposantes d’entre elles ont un meilleur accès aux capitaux que leurs homologues de petite et moyenne taille. Et la source de cette inégalité réside dans l’aversion au risque du Parti-État. La logique est simple : la garantie du débiteur doit être suffisamment importante afin de pouvoir compenser le risque de crédit. En principe, cela paraît sensé, mais en réalité, cela désavantage sérieusement les entreprises sans garanties et rend extrêmement difficile pour les gens de démarrer des entreprises dans un secteur d’activité à haute intensité de capital.
*Evergrande a offert des appartements et des immeubles en copropriété à ses fournisseurs en échange de leurs services.
Les entreprises privées ont alors conçu leurs propres moyens de contourner ce régime de crédit problématique et parfois même, inaccessible. Parmi leurs canaux de financement préférés figurent le crédit fantôme, les engagements personnels (par le biais d’injection de fonds offerts par des amis), les reconnaissances de dette (IOU) et la mise en garantie d’actifs physiques futurs*.
*Cela explique pourquoi la plupart des promoteurs immobiliers sont cotés à la bourse de Hong Kong : il est beaucoup plus facile d’avoir accès au crédit.
Les banques étatiques ont des mandats très limités pour prêter aux sociétés immobilières – surtout si elles sont privées – et refusent la plupart du temps de souscrire des obligations pour celles-ci*. Dans cet environnement de crédit, Evergrande doit nécessairement emprunter auprès d’acteurs non bancaires, ce qui vient automatiquement ajouter des coûts et faire monter les taux d’intérêt. En temps normal, lorsque le Parti ne cherche pas à s’impliquer ou encore à s’immiscer dans le secteur immobilier et que le pays n’est pas paralysé par une pandémie mondiale, ce type de financement non conventionnel ne pose pas vraiment de problème pour Evergrande. Mais dans la situation actuelle, où les prêteurs hésitent à se risquer sur un marché de plus en plus politisé et où les appartements sont difficiles à vendre, la firme de Shenzhen s’est retrouvée au pied du mur.

RÉGLEMENTATION INADÉQUATE

ET MANQUE DE SURVEILLANCE

*Pourtant, Pékin était déjà intervenue sur la question des reconnaissances de dette avec le groupe de Sun Dawu (孙大午) en 2003. C’est donc soit une grave négligence, soit une politique de l’autruche qui a permis la crise actuelle. **Il est ironique qu’en 2016, la Hong Kong Securities and Futures Commission ait interdit à un vendeur à découvert américain de négocier des titres cotés à Hong Kong après que la société a publié un rapport critiquant Evergrande.
Le dernier problème structurel que nous relaterons ici est celui de l’absence de surveillance de la part du Parti-État concernant les méthodes de financements « créatives » utilisées par Evergrande*. Comme mentionné précédemment, pendant un certain temps, Evergrande a divulgué dans ses déclarations à la bourse de Hong Kong que la compagnie avait signé des reconnaissances de dette avec certains fournisseurs et entrepreneurs. Mais alors, pourquoi ces reconnaissances de dette ainsi que les produits de « gestion de patrimoine » de la société n’ont-ils pas été examinés de manière appropriée par les régulateurs de Hong Kong** et de la Chine, ou même par les propres banquiers, auditeurs et avocats d’Evergrande ?
*Bien entendu, avant l’arrivée de Xi, Everegrande ne se souciait que très peu de la réglementation car ses alliés dans le Parti pouvaient toujours lui donner un passe-droit si nécessaire.
La crise d’endettement actuelle d’Evergrande est en effet un échec sur le plan de la réglementation et de la surveillance*. Malgré son discours fort sur la prévention des risques financiers et le renforcement de son appareil réglementaire et juridique au cours des dernières années, le Parti a tout de même réussi à passer à côté d’un risque de crédit assez évident chez l’un des plus grands promoteurs immobiliers du pays. N’oublions pas que le cas de Huarong, l’un des plus grands gestionnaires chinois de créances douteuses, négligé par le marché, représente un risque financier beaucoup plus important pour le Parti. Combien d’autres grandes entreprises chinoises subissent des pressions financières similaires, mais ont échappé à l’examen minutieux du Parti, des régulateurs, des médias et du marché ?

DIAGNOSTIC

*Hopson Development Group (合生创展集团), fondée par Zhu Mengyi (朱孟依), vient de racheter 51 % des parts d’Evergrande Property (恒大物业) pour 40 milliards de dollars hongkongais, alors que sa valeur totale était évaluée à plus de 200 milliards de dollars hongkongais. Zhu Mengyi et Hopson représentent en grande partie les intérêts de la puissante famille Ye (叶家族) du Guangdong. Famille qui soutient les efforts de Xi depuis 2013.
Face aux problèmes d’Evergrande, le Parti n’a pas réagi ou presque. Ce qui suggère que les jours de Xu et de son groupe sont comptés. En fait, le scénario de la crise était écrit dès lors que Joseph Lau a commencé à retirer ses fonds d’Evergrande. Hopson Development Group attend actuellement le feu vert du régulateur pour acheter 51 % d’Evergrande Property, mais cela ne renversera pas la vapeur*.
Dans ces conditions, comment le Parti-État va-t-il gérer les conséquences de l’effondrement d’Evergrande ? Les médias grand public, les analystes financiers et les « experts politiques » fantasment rien qu’à penser aux dommages que l’effondrement du groupe pourrait causer au Parti. Certains vont jusqu’à parler d’un « moment Lehman Brothers en Chine », ce qui témoigne d’une totale méconnaissance de la crise financière de 2008. En réalité, l’impact en sera probablement plutôt limité et assez contenu.
Plusieurs raisons conduisent à éloigner les hypothèses catastrophistes. D’abord, Evergrande a une grande quantité d’actifs physiques, tangibles. Le processus d’identification et de liquidation de ces actifs et le remboursement ultérieur de la dette serait donc relativement facile à structurer et simple à mettre en place. Quant aux actifs toxiques (non performants), le Parti peut simplement convoquer un nombre quelconque d’entreprises d’État pour les absorber.
Et que dire du possible effet de contagion évoqué par plusieurs commentateurs ? Si Fantasia, promoteur immobilier lui aussi en défaut de paiement, est l’exemple utilisé pour démontrer une épidémie sectorielle causée par Evergrande, il faudrait peut-être se raviser : le groupe Fantasia appartient à la nièce de Zeng Qinghong, l’ancien vice-président et bras droit de l’ex-président Jiang Zemin, ennemi numéro un de Xi Jinping. Xu Jiayin et Evergrande ne possèdent, sur le papier, aucune part de ce groupe. Si la chute de Fantasia est bien un cas de contagion, celle-ci est politique plutôt que sectorielle. La faillite d’Evergrande peut avoir un impact sur certains indices boursiers pour lesquels l’action du groupe ferait partie des titres constituants. Ceux qui détiennent la dette du groupe vont aussi pâtir de sa chute. Elle peut aussi avoir un impact sur les titres chinois de manière générale. Cela dit, ce n’est pas la chute qui pose problème ici, mais bien l’incertitude créée par l’absence d’une réponse claire et directe de la part de Pékin.
Ainsi, deux scénarios sont envisageables pour la suite : soit une prise de contrôle par le biais des régulateurs et une division des actifs similaires aux cas d’Anbang et de la Baoshang Bank ; soit l’évincement de Xu, menant à la prise de relais par le Parti en devenant l’actionnaire majoritaire, les opérations, les unités et les actifs d’Evergrande étant restructurés.
Dans les deux cas, que deviendraient les investisseurs et les consommateurs, ceux qui ont déjà payé leur achat d’appartement sur plan ? Bien qu’Evergrande ne soit pas une banque, il est permis d’extrapoler en s’appuyant la liquidation et la mise en faillite de la Baoshang il y a à peine quelques mois. Pour ce qui est des consommateurs, il est fort probable que Pékin voudra éviter le pire. Comme dans le cas des épargnants pour Baoshang, le pouvoir ventral voudra honorer les ventes par le biais du processus de liquidation. D’autres compagnies devront terminer les projets en attente d’Evergrande moyennant des subventions, des crédits d’impôts ou de taxes. Pour ce qui est des investisseurs, la donne est tout autre. Si Pékin a voulu protéger les épargnants en créant un fonds de faillite en 2020 – pour le cas de la Baoshang en premier lieu -, il a été clairement dit que les investisseurs n’auraient pas le droit à ce type de renflouement. Ils devront attendre, le cas échéant, la fin du processus de liquidation afin de négocier avec le groupe responsable de la procédure de mise en faillite.
En ce sens, ceux qui pensent qu’Evergrande pourrait vraiment secouer le Parti devraient réévaluer leur position. N’oublions pas une chose : pour que les créanciers aient le droit de venir cogner à la porte d’une société aussi importante qu’Evergrande, une permission de Pékin est absolument nécessaire. Le Parti n’a pas été pris par surprise puisque c’est lui qui a demandé à ce que l’on coupe les canaux de crédit pour Evergrande. En même temps, il s’est assuré – comme dans le cas de la Baoshang – que la société ne pourrait pas avoir accès à des injections de capitaux et à des prêts externes, comme par le passé.

EXCÈS DE LA CLASSE CAPITALISTE

La chute d’Evergrande n’est pas le fait du hasard, ni même seulement d’erreurs en matière de réglementation. Les difficultés financières extrêmes de Huarong, la chute potentielle d’Evergrande et dans une moindre mesure, Fantasia, la restructuration de HNA et la prise de contrôle du Tomorrow Group, ont un dénominateur commun : des liens avec le « Prince Qing » (庆亲王, Qing qinwang), surnom de Zeng Qinghong, l’agent perturbateur par excellence pour Xi Jinping.
Ainsi, le président chinois cherche à détruire une fois pour toutes les réseaux de Zeng ainsi que ses « gants blancs » (ses prêtes-noms) avant le Congrès du Parti en 2022. Cette prise de risque demeure donc calculée pour Xi : il se doit de consolider son pouvoir, peu importe le prix à payer – ce qui n’est pas sans rappeler les campagnes politiques maoïstes, Révolution culturelle en tête. N’oublions pas non plus qu’en poussant les grandes sociétés privées au bord du gouffre, Xi facilite la tâche du Parti : les compagnies n’ont alors d’autre choix que de céder des parts à Pékin pour une bouchée de pain. Ce qui ressemble à une sorte de nationalisation forcée, élément qui se retrouve à demi-mot dans le slogan de « prospérité commune ».
En fin de compte, peu importe qui obtient quoi et combien d’actifs sont perdus au cours de ce « processus ». Une chose est certaine : ce ne sera pas à Xi de régler la note, mais bien aux investisseurs d’Evergrande. À l’instar d’Ant Financial, la firme de Xu Jiayin servira sûrement d’excellent exemple au Parti pour se justifier d’intervenir, de contrôler et de restructurer le secteur privé au nom de la « prospérité commune ». Et bien sûr, pour protéger les citoyens des excès de la « droite » – la « classe capitaliste ».
SOURCE : Par Alex Payette
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.
Chine : pourquoi Xi Jinping
vise-t-il le secteur des
technologies et pas la finance ?
À Shanghai, des livreurs de Meituan, le géant chinois de la livraison de repas, l'un des derniers mastodontes du numérique à être l'objet d'une enquête antitrust de la part des régulateurs chinois. (Source : FT)
À Shanghai, des livreurs de Meituan, le géant chinois de la livraison de repas, l'un des derniers mastodontes du numérique à être l'objet d'une enquête antitrust de la part des régulateurs chinois. (Source : FT)
En pleine campagne de rectification politique voulue par Xi Jinping, le Parti a encouragé les régulateurs chinois à ouvrir une enquête titanesque contre les champions nationaux des technologies. Que tente d’accomplir Pékin ? Ce secteur représente-t-il le plus de risques pour le Parti-État ? Il est permis d’en douter. L’endettement des banques et des entreprises de la finance est bien plus dangereux pour l’économie de la Chine.
*Dans le cas de Didi, les autorités étaient principalement préoccupées par la question du partage des données et de leur fuite à l’étranger – surtout parce que Didi a été coté en bourse aux États-Unis. Une logique quelque peu bizarre car d’ordinaire, les sociétés chinoises entrées dans les bourses américaines utilisent des sociétés-écrans offshores comme véhicules principaux. Comment Didi aurait-il ainsi pu divulguer ces données compte tenu de cette structure ? Dans le cas d’Alibaba et de Meituan, les autorités s’intéressent plutôt à la manipulation des données à des fins non concurrentielles.
Depuis l’ouverture en juillet dernier d’une enquête contre Didi, le géant chinois des VTC, le secteur des technologies numériques n’a pas connu de répit. Didi subit encore les pressions des régulateurs et avec le discours portant sur la « prospérité commune », le sort du secteur tout entier demeure incertain. De plus, les régulateurs chinois semblent manquer d’orientation et d’objectifs clairs, malgré les nouveaux projets de réglementations mis en place depuis le début 2020. Une part importante des problèmes est liée à la sécurité et à la confidentialité des données des consommateurs chinois*, mais dans les faits, chaque affaire – Tencent, DiDi ou Meituan – est particulière. Car contrairement aux pays occidentaux qui ont connu leur lot d’enquêtes et de lois antitrust ces dernières décennies (Google en Europe, et Microsoft aux États-Unis en 1998), les régulateurs chinois, faute de pouvoir procéder de manière graduelle, ont regroupé un ensemble de problèmes réglementaires et en ont fait l’objet d’une seule méga enquête qui a déstabilisé les champions nationaux du numérique. ce qui complique cette enquête, tout en rendant plus difficile le travail des régulateurs, sans parler des incertitudes crées sur le marché. Plus la campagne de rectification réglementaire s’éternise, plus il sera malaisé pour les grandes compagnies chinoises cotées en bourse d’essuyer les pertes ou de regagner la confiance des investisseurs étrangers.

EXÉCUTION ET RECTIFICATION

À l’évidence, les autorités chinoises se servent de leurs nouveaux pouvoirs régulateurs pour envoyer, par le biais le secteur technologique, un message aux autres acteurs de l’économie du pays. La campagne d’investigations dans ce secteur n’est pas seulement un moyen pour les régulateurs de prendre du galon. Cette approche, qui ressemble un peu à une thérapie de choc, se veut le début d’une nouvelle normalité économique distincte de la période des réformes – c’est-à-dire du développement à tout prix. Alors que les grandes entreprises pouvaient à l’époque ignorer la réglementation et poursuivre leurs activités comme d’habitude, moyennant le paiement de quelques petites amendes ici et là, le climat actuel ne permet plus ce genre de comportement. Et si auparavant, à peu près tout pouvait être sacrifié au nom de la croissance économique, cette dernière doit désormais aller de pair avec d’autres considérations, comme la « prospérité commune ».
*Auparavant, les régulateurs pouvaient faire valoir qu’ils leur manquaient de personnel ou encore qu’ils n’avaient tout simplement pas suffisamment de pouvoir pour enquêter et ensuite punir les entreprises fautives. **Exemple avec la Cyberadministration nationale (CAC en anglais), la Commission de réglementation des valeurs mobilières chinoise (CSRC), la Commission de réglementation de l’assurance et du secteur bancaire (CBIRC), la Banque centrale (PBoC) et l’Administration nationale de la réglementation du marché.
Si les régulateurs chinois ont reçu de nouveaux pouvoirs pour surveiller et intervenir dans l’économie, ces pouvoirs s’accompagnent naturellement de plus de responsabilités. La principale d’entre elles concerne les cas de mauvaise conduite. Ainsi, le Parti-État ne tolérera plus les manquements dans la surveillance réglementaire*. On sait que le Parti a souvent excusé à demi-mot ce type de manquement par le passé, sauf dans des cas hyper médiatisés comme le du scandale de la mélamine dans le lait en 2008. Cela dit, la nature très médiatisée de cette affaire sape en partie l’importance du message que les autorités actuelles veulent faire passer. En effet, il existe une pléthore d’autres types de fautes similaires – surtout de la part de régulateurs incompétents – qui ne reçoivent pas le même type d’attention, mais qui, en vertu de leur nombre, sont potentiellement encore plus importantes. À ce titre, le mandat que le Parti-État a donné à ses régulateurs est très clair : il faut s’assurer que les lois et règlements soient appliqués à la lettre. Il est donc permis d’interpréter la récente enquête dans les technologies, qui a d’ailleurs impliqué un consortium de régulateurs**, comme une opportunité pour eux de prouver leur compétence ainsi que leur loyauté envers le Parti.
*Surtout dans le secteur de la sécurité publique et des groupes d’enquête centraux. **Le mot « coopté » n’est peut-être pas le bon, dans la mesure où les régulateurs n’ont pas le choix de coopérer. Sinon, le Parti pourrait simplement les obliger par le biais de la Commission disciplinaire.
Cette idée que les régulateurs doivent montrer leur loyauté s’ajoute à la tendance de l’administration Xi de vouloir régler des comptes. Alors que le Parti met en marche le second volet de la campagne de rectification dans la sphère politique*, il tente de faire de même sur le plan de l’économie par le biais d’institutions régulatrices. D’une certaine manière, les régulateurs chinois sont victimes de capture réglementaire : alors qu’ils devraient être neutres dans leurs fonctions de surveillance et de supervision des affaires économiques, ils ont été cooptés** par l’administration actuelle afin de servir les objectifs politiques de Xi Jinping.
Cette rectification économique peut être observée dans la saga d’Ant Financial, durant laquelle Jack Ma s’est vu perdre son plus important conglomérat en moins de quelques mois en raison de ses liens politiques jugés peu recommandables et de son attitude cavalière à l’endroit du Parti-État. À une moindre échelle, c’est aussi ce qui s’est passé dans les cas de Meituan et de Didi. Dans le premier cas, le fondateur avait publié un poème classique qui fut interprété comme une critique du Parti – l’action de Meituan a ensuite accusé des pertes importantes et l’entreprise s’est retrouvée dans la tourmente auprès des régulateurs. Le cas de Didi est similaire à celui d’Ant Financial dans la mesure où son fondateur a lui aussi obtenu des capitaux de personnes jugées peu recommandables à ses débuts.
Dorénavant, les entreprises chinoises doivent coexister et fonctionner avec les régulateurs dans cette nouvelle réalité. Cependant, le Parti reconnaît implicitement que certains conglomérats sont trop gros pour faire faillite (« too big to fail »). Dans le cas d’Ant Financial, le conglomérat n’a pas pu être anéanti, mais le PCC a toutefois pu forcer sa réorganisation, et le contraindre à lui déclarer ouvertement son allégeance. De même pour Alibaba, qui continue de prospérer en tant que conglomérat coté à Hong Kong et aux États-Unis, malgré une amende historique des régulateurs. Bien qu’il ne se résigne pas à l’admettre, le Parti comprend qu’il n’existe pas d’alternative à Alibaba. Lorsqu’il s’agit de s’en prendre aux conglomérats, il emploie une tactique qui consiste à forcer un changement de direction. C’est ce qui s’est produit chez Ant Financial et Alibaba, et selon les rumeurs, les régulateurs auraient aussi dans leur collimateur la direction de Didi, bien que l’entreprise ait vigoureusement nié ces allégations. Cela dit, les régulateurs chinois n’ont pas encore réussi à trouver l’équilibre leur permettant d’effectuer des enquêtes sans provoquer la panique sur les marchés. Car si le Parti apprécie que les régulateurs fassent leur travail, il n’apprécie aucunement les répercussions économiques de ces enquêtes.

LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES

EST-IL VRAIMENT SI EFFRAYANT ?

*Réglementations qui, d’ailleurs, existent déjà dans plusieurs pays occidentaux.
Bien entendu, la sécurité et la confidentialité des données ainsi que la protection des droits des consommateurs dans ce domaine revêtent une importance particulière pour le Parti, qui cherche à protéger – et à se protéger. Voilà pourquoi la réglementation sur la confidentialité et la sécurité sont si importantes pour Pékin, qui se doit de les mettre en place*. Cela dit, on ne peut s’empêcher de trouver l’enquête sectorielle actuelle un peu excessive. Certes, les entreprises technologiques chinoises sont confrontées à des problèmes de sécurité – en matière de données surtout – et Pékin doit intervenir. Mais, pourquoi ces problématiques – pour un secteur ciblé – nécessitent-elles l’attention de tous les régulateurs du pays depuis plus de 300 jours, depuis l’arrêt de l’entrée boursière d’Ant Financial ? Ce n’est pas clair. Il est permis de se demander si d’autres secteurs, représentant des sources de risques importantes, n’ont pas été négligés au profit de cette enquête très médiatisée dans les technologies.
Si la rhétorique sur le conservatisme croissant de la Chine et sa re-fermeture au reste du monde est vraisemblable d’un point de vue socio-politique, les marchés financiers brossent le tableau contraire. Rendons à César ce qui est à César : l’un des héritages durables de l’administration Xi sera fort probablement l’approfondissement de la réforme et de l’ouverture des marchés financiers. Même si la diplomatie chinoise des « loups combattants » peut suggérer une hostilité de la Chine aux pays étrangers, elle n’a aucunement découragé les multinationales de venir s’installer dans le pays du Milieu. Rien qu’en août, JP Morgan et Fidelity ont reçu l’approbation pour étendre davantage leurs opérations onshore*, et Standard Chartered a fait la demande pour l’établissement d’une filiale basée sur le continent. Toujours aussi fort, cet appétit des entreprises étrangères de la finance de venir s’installer en Chine n’a rien de surprenant. Alors que le Parti-État continue d’ouvrir le marché financier national, une plus grande part du gâteau devient disponible pour les conglomérats étrangers. D’autant que même à ce rythme, la majeure partie du marché chinois dans son ensemble n’est toujours pas accessible aux investisseurs étrangers. Il y a donc encore beaucoup à faire.
*Essentiellement en référence à Google, Twitter et Facebook.
Cependant, comparons la taille du marché financier à celle du secteur des technologies : il est évident que le premier est plus important. L’ampleur des risques provenant du marché financier les rend aussi plus difficiles à gérer que les risques engendrés par les questions de sécurité des données dans le monde de la technologie. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le monde occidental pour mieux comprendre cette situation. Si au cours des dernières années, le quasi-monopole de certaines compagnies technologiques est devenu un sujet brûlant pour les régulateurs et politiciens occidentaux (Américains surtout)*, la menace que posent ces conglomérats demeure plutôt limitée. Il est vrai que le scandale de Cambridge Analytica, les fuites et le vol de données, et la question de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux sont des problèmes qui requièrent notre attention. Cependant, ils font bien pâle figure à côté des ravages que l’écroulement d’une institution financière majeure – Lehman Brothers en 2008 – peut occasionner pour l’économie mondiale.
Ainsi, les régulateurs n’ont-ils pas mal évalué les dangers tangibles, mais surtout immédiats, que posent un marché financier aussi énorme ? D’abord, le Parti ne sait toujours pas comment gérer les risques systémiques que pose la multiplication des obligations émises par les gouvernements locaux. Depuis le début de la pandémie, aucun ralentissement n’est palpable : les gouvernements locaux peuvent encore compter sur 58 % de leur quota annuel d’émission d’obligations afin de financer des arriérés de salaire ou des projets d’infrastructure servant à gonfler la croissance locale. Et pour compliquer encore plus les choses, le gouvernement central soutient les gouvernements locaux dans leur émission d’obligations spéciales comme moyen d’injecter du capital dans les banques régionales : plus de 118,8 milliards de yuans (18,3 milliards de dollars) ont été émis sous cette forme depuis juillet 2020. Bien qu’il s’agisse en fait de conversion de dettes en actions (« debt-for-equity swap ») permettant aux gouvernements locaux d’obtenir des parts de ces banques, le seul fait que ces dernières nécessitent de telles injections de capitaux prouve le peu de valeur qu’elles ont à offrir en matière d’investissement.
*Il serait possible de dire plutôt « au bord de l’effondrement », mais étant données sa taille et son importance, le Parti n’a pas vraiment d’autre choix que de la renflouer. **En guise de référence, pour une société financière occidentale, dans les cas les plus sévères, on parle de ratio d’endettement d’environ 70x, voire même, 80x. Le tristement célèbre fonds spéculatif américain Long-Term Capital Management, qui n’existe plus aujourd’hui, avait un ratio d’endettement de plus de 100x.
Bien entendu, il n’est pas rare que les banques régionales aient besoin d’injections de capitaux de la part des gouvernements locaux. Cependant, il faut prendre en compte le contexte actuel plus large, en particulier la détérioration de l’environnement du crédit corporatif en Chine. En 2021, les cotes de crédit de 94 entreprises basées en Chine continentale ont été dévalorisées – soit le double de l’an dernier. Ce qui est particulièrement préoccupant étant donné que la plus importante des quatre entreprises de gestions de créances douteuses, China Huarong Asset Management, est sur le point d’avoir encore besoin d’un renflouement de la part de l’État*. Le 30 août, China Huarong a déclaré 102,9 milliards de yuans (15,9 milliards de dollars) de pertes pour l’année financière 2020, ce qui représente une perte de 85% en capitaux propres. Pire encore, le ratio d’endettement était d’environ 1 333x**. Le processus de désendettement sera long et pénible pour China Huarong, et le moindre faux-pas pourrait déclencher une onde de choc qui se ferait sentir à travers tout le marché financier chinois. Pour le moment, le géant est toujours debout. Mais il met en grave danger la santé du système financier. À l’évidence, un renflouement de l’État n’était pas suffisant. Qui peut dire combien d’autres secrets se cachent dans les livres de comptes comme des bombes tout près d’exploser ? China Huarong demeurera une sérieuse épine dans le pied du Parti à l’approche de son XXème Congrès l’automne prochain.
Par Alex Payette
Chine : la "prospérité commune" ou quand
Xi Jinping utilise une vielle ficelle maoïste
Le président chinois Xi Jinping à Macao le 19 décembre 2019. (Source : Bloomberg)
Le président chinois Xi Jinping à Macao le 19 décembre 2019. (Source : Bloomberg)
Xi Jinping n’a pas inventé le concept. La « prospérité commune » date de Mao Zedong et des « réformes agraires » des années 1950, période meurtrière dans les campagnes. Aujourd’hui, le numéro un chinois veut faire croire à une politique sociale de redistribution par le biais des attaques récentes contre les grands patrons. Mais il s’agit en fait de renflouer les caisses du Parti-État. Une campagne idéologique qui doit aussi servir les plans de Xi pour rester au pouvoir après le Congrès de 2022. Mais elle témoigne de la fragilité de sa position au sortir de la traditionnelle retraite estivale de Beidaihe, pleine de tensions entre le président et ses opposants au sein du Parti.
À l’évidence, l’université d’été du Parti, connue sous le nom de « Conférence de Beidaihe » (北戴河会议, Beidaihe huiyi), ne s’est pas déroulée comme prévue pour Xi Jinping et ses associés. Cette retraite estivale, on peut le dire, fut même à couteaux tirés entre le président d’un côté et de l’autre un ensemble hétéroclite à la hargne grandissante : les réformateurs (改革派, gaigepai), les membres de la « deuxième génération rouge » (红二代, hong’erdai), les associés de la clique de l’ancien président Jiang Zemin, ainsi que des mécontents au sein de l’Armée populaire de libération (APL). Ces derniers refusent de payer la note du discours cavalier du Ministère des Affaires étrangères.
À vrai dire, les tensions entre Xi et l’armée populaire se font sentir depuis un moment, si bien que le numéro un chinois a rappelé le 30 juillet que c’est le Parti qui contrôle « le fusil », qu’il faut garantir l’absolue loyauté des militaires, et que l’armée se doit d’obéir aux ordres du Comité central. Mais en dépit de ce rappel à l’ordre, les relations entre l’APL et Xi Jinping demeurent tendues – en grande partie à cause de la campagne anticorruption et de la promotion d’un « trop » grand nombre de commissaires politiques avec une maigre expérience militaire. Bien entendu, cette tentative d’avoir l’air tout-puissant s’adressait également aux partisans de « l’ancien régime », le réseau de pouvoir de Jiang Zemin. Il fallait leur rappeler d’éviter d’utiliser l’armée, tout comme la police armée, à des fins de « déstabilisation », comme en 2012, lors de la chute de Bo Xilai.
Cette avant-dernière retraite d’été avant le XXe Congrès du Parti prévu à l’automne 2022 était l’une des dernières chances pour Xi de rassembler un soutien politique à son un troisième mandat. Il est permis de penser qu’il a bien essayé de convaincre les autres dirigeants du Parti. Mais la route demeure encore longue avant le Congrès : à observer les signaux politiques après la rencontre Beidaihe, c’est à se demander jusqu’à quel point le président chinois a réussi à convaincre les uns et les autres.

HISTOIRE DE CLIQUES

*Zhang a mis sur pied un Comité central rival à celui de Yan’an afin de se légitimer, lui et son groupe armé.
Quelques jours seulement après Beidaihe, aux alentours du 12 août, la revue du Parti Qiushi (« Rechercher la vérité ») a publié un article intitulé « Xi Jinping : Résumer l’expérience historique et renforcer la construction politique du Parti ». L’article reprend notamment l’histoire de Zhang Guotao, l’un des fondateurs du PCC. Or, parler de Zhang ou encore de Wang Ming, c’est avant tout évoquer la désunion au sein du Parti. C’est parler de la formation de cliques, de trahison et donc de personnages qui ont causé du tort non seulement à la Révolution, mais aussi au vrai Parti*. Cette histoire est aussi une mise en garde sur la division du PCC comme de l’armée durant des temps difficiles – comme c’est le cas aujourd’hui.
*有了偏差, 就喊看齐.
L’évocation de Zhang Guotao éclaire la situation politique dans laquelle se trouve Xi et à quel point son autorité a pu être remise en cause lors de la rencontre estivale. Sans surprise, il a parlé ensuite des « Deux Sauvegardes » (两个维护, liang ge weihu) et a cité Mao : « [Si] il y a une division, il suffit de faire un rappel à l’ordre [pour que le Parti emboîte le Pas] »*. Cependant, rappeler les mécontents à l’ordre ne sera pas une tâche facile avant octobre 2022. À moins d’accepter certains compromis, comme sur la composition du prochain Politburo.

UNE « PROSPÉRITÉ COMMUNE » POUR LE PARTI

*Et le retour annoncé de la Bourse de Pékin ne fait pas exception à cette tendance. Au contraire, il pourrait être plus facile pour le gouvernement central de contrôler les SME une fois qu’elles seront cotées. **土地改革运动.
Deux jours seulement après la publication de l’article sur la construction du Parti, le 17 août, Xi préside la Xe rencontre du Comité central des Finances et de l’Économie. Le président met alors l’accent sur la « prospérité commune » (共同富裕, gongtong fuyu). Cette notion sort tout droit de la période qui suit la « réforme agraire »** des années 1950 – ou plutôt la campagne politique « classicide », qui détruisit de manière délibérée et systématique une classe sociale : les propriétaires. Elle s’inspire des idéaux communistes de la reprise des moyens de production par les travailleurs ou la paysannerie. Or, cette « prospérité » s’est traduite en mouvement de collectivisation sous le contrôle du Parti. Attention au malentendu : selon le langage et l’histoire du PCC, il ne s’agit pas vraiment de redistribution, mais plutôt de nationalisation ou de collectivisation*. Ainsi, comme il y a 70 ans pour les terres agricoles, c’est sans doute le Parti qui profitera aujourd’hui le plus de la « prospérité commune ».
*On pourrait facilement arguer que la classe rouge, qui vaut des dizaines, voire même des centaines de milliards de yuans, aurait déjà dû commencer à rendre, surtout si l’on sait comment ces fortunes se sont accumulées.
Ce slogan, qui peut sembler « populaire », a cependant raison d’effrayer le secteur privé, mais aussi le secteur « semi-privé » qui rassemble une grande partie de l’élite financière rouge – de la « deuxième génération rouge ». Ceux-ci devront commencer à « payer » pour les conditions favorables offertes naguère par le Parti*. Bien entendu, cette « redistribution » concerne les caisses du Parti-État, sans se diriger vers la population dite « pauvre ». Et pour cause, elle n’existe plus, pour ainsi dire : en décembre dernier, Xi Jinping n’a-t-il pas clamé haut et fort la « victoire sur la pauvreté absolue » ?
*Il ne faut cependant pas jeter de pierre à Deng qui, en 1985, soutenait que « le but du socialisme est de faire prospérer l’ensemble du pays, et non pas de le polariser ».
Et pourtant, la « prospérité commune » doit passer par les « trois redistributions » (三次分配, san ci fenpei) : travailler pour devenir riche – ce que Deng Xiaoping appelait : « laissez certains devenir riches en premier »* ; ajuster les revenus jugés excessifs par des impôts ou d’autres formes de taxes qui en retour pourront soutenir de nouvelles mesures sociales ; espérer que la classe riche prenne d’elle-même l’initiative de « rendre » financièrement à la société. Cette séquence pourrait suggérer, selon Xi, que la Chine d’après les réformes doit s’éloigner maintenant de l’héritage de Deng. En ce sens, le pays en serait à la seconde étape, tout en se dirigeant en même temps vers une troisième étape en même temps : certaines grandes compagnies comme Tencent ont déjà donné des sommes importantes pour se faire oublier par le Parti.
*Ne l’oublions pas, le Parti n’a offert seulement que 50 yuans aux fermiers sans revenus suite aux inondations dans le Henan.
Ce nouvel engagement, qui officiellement vise la redistribution*, accroît le virage à gauche entamé en 2013 et confirme certains des objectifs de Xi Jinping. Parmi eux, le passage à un « nouveau modèle de développement », un slogan annoncé depuis un moment déjà. Ainsi, il est également probable que nous n’entendrons bientôt plus parler de la « société de moyenne aisance » dans la mesure où la notion se réfère davantage à la lutte contre la pauvreté.

RALLIER L’OPINION PUBLIQUE

*Comme si le Parti venait tout juste d’identifier une nouvelle « classe de propriétaires terriens ».
Outre ces objectifs louables – et surtout directement liés à l’héritage politique plus « socialiste », la « prospérité commune » pourrait devenir pour le Parti un nouvel avatar du slogan de Bo Xilai à son apogée à Chongqing : « chanter rouge et frapper le noir », ce discours populiste mêlant une forte propagande néo-maoïste à la lutte contre la mafia. Aujourd’hui, « chanter rouge » reviendrait à louer la collectivisation et la redistribution, et « frapper le noir » viserait, un peu comme les chats noirs qui attrapent les souris chez Deng, les forces capitalistes. En ce sens, la « prospérité commune » de Xi Jinping met les contradictions sociales, les inégalités et autres problèmes du secteur bancaire et financier chinois sur le dos de la classe capitaliste*. Autant de contradictions qui, ne l’oublions pas, ont émergé sous Deng Xiaoping.
*En outre, Pékin parle de soutenir la reconstruction de l’Afghanistan alors que les coffres du Parti-État, beaucoup plus garnis en 2013, sont à présent vides. **Pour les citoyens ordinaires, mais aussi pour beaucoup de gouvernements locaux qui, depuis le début de la pandémie, ont dû contracter des prêts importants pour pouvoir continuer de fonctionner. D’autres, comme le gouvernement du comté de Kangping (Liaoning), accumulent des arriérés sur les retraites et salaires depuis plus de 10 ans. La pandémie est simplement venue leur porter un coup supplémentaire.
Ce « nouveau » slogan tombe à pic pour une Chine toujours isolée sur la scène internationale et dont l’économie peine à récupérer. Quant à ses projets de développement à l’étranger, ils se portent mal : les « Nouvelles routes de la soie » ne donnent toujours pas de retour sur investissement*. La « prospérité commune saura justement détourner l’attention du ralentissement économique**. Elle saura également l’expliquer et même en identifier les responsables. Ainsi, le Parti souhaite rallier l’opinion publique à l’idéal de la « prospérité commune » pour en fait espérer renflouer les caisses de l’État par des réformes économiques très pénibles pour les plus nantis.
En même temps, ce discours se veut rassurant pour une population qui, depuis le début de 2020, doit s’en remettre de plus en plus à ses propres économies, faute de couverture sociale universelle ou d’aide sous condition de ressources. D’autant qu’elle doit dépenser toujours plus pour les biens de première nécessité, à cause de l’inflation notamment. Sans parler de la crise de de l’emploi, directement liée à la pandémie et aux mesures de confinement draconiennes. En ce sens, voir le Parti s’attaquer aux grands conglomérats tout en parlant de « prospérité commune » pourrait en inciter plus d’un à soutenir Xi Jinping en 2022.
Par ailleurs, ce nouveau slogan ne se veut surtout pas rassurant pour les investisseurs étrangers. En plus de devoir composer avec de nouvelles réglementations, ils ne savent plus trop sur quel pied danser. Devront-ils eux aussi « rendre » ? Devront-ils payer de nouvelles charges sociales ? Nous en saurons sans doute plus lors de la double session parlementaire de mars prochain.

PERSONNE N’EST RESPONSABLE

*En comptant Zhou Xianwang, l’ancien maire de Wuhan, et Wang Xiaodong, gouverneur du Hubei jusqu’en juin 2021.
Autre point important, la question de la responsabilité. Après la retraite de Beidaihe, Jiang Chaoliang et de Ma Guoqiang ont fait un retour assez inattendu sur la scène politique alors qu’ils en avaient été évincés après leur gestion calamiteuse des débuts de la crise sanitaire. Jiang avait quitté le comité permanent provincial du Hubei en février 2020, tandis que Ma avait, le même mois, été limogé de son poste de secrétaire du Parti de Wuhan. Jiang avait fait une brève apparition publique en octobre 2020, mais sans plus. Or, le 20 août, il a refait surface en devenant directeur adjoint du comité sur l’Agriculture et les Affaires rurales de l’Assemblée nationale populaire. Idem cinq jours plus tard pour Ma Guoqiang : il est à présent membre de l’assemblée provinciale populaire du Hubei. En ce sens, la fameuse « bande des Quatre »* du Hubei n’a pas été punie.
Cette immunité de facto, appelée aussi « parapluie protecteur » (保护伞, baohusan), est mauvaise pour l’image de Xi Jinping. C’est à se demander si le destin de Jiang et de Ma n’est pas lié à celui de Xu Liyi, le secrétaire du Parti de Zhengzhou, et de Lou Yangsheng, secrétaire du Parti du Henan après les inondations dévastatrices qui ont frappé la région fin juillet dernier. Malgré la visite de Li Keqiang à Zhengzhou, qui a posé la question de la responsabilité dans une catastrophe qui aurait éventuellement pu être évitée, Xu et Lou n’ont pas été punis. Pourtant, Xu a déjà par le passé été responsable du département de la conservation des eaux de Ningbo dans le Zhejiang, la province clé dans le réseau de pouvoir de Xi Jinping.
Dans ce contexte, la retraite estivale a sûrement été le théâtre de négociations intenses entre Xi Jinping et les membres de « l’ancien régime ». Cet « échange de prisonniers » (Jiang et Ma contre Xu et Lou) démontre que ce dernier a certainement subi certains revers. Les commentaires du Premier ministre sur la responsabilité, mais aussi la nécessité pour les cadres du Parti d’agir sans attendre les ordres de Pékin, en accréditent l’idée.
Cette attitude téméraire de la part de Li Keqiang sera problématique pour 2022. Des arrangements sont sans doute en train d’être négociés pour le remplacer. À ce titre, le retour sur le devant de la scène de Wang Yang durant la rencontre du 17 août, pourrait laisser penser que Xi songe à placer au Conseil d’État en 2022 l’actuel président de la Conférence consultative du peuple et déjà membre du comité permanent du Politburo. Dans la mesure où Wang est techniquement associé à la faction de la Ligue des jeunesses communistes (团派, tuanpai) associée à Hu Jintao, sa nomination au gouvernement pourrait diviser davantage cette clique soutenue aussi par Li Keqiang. Cependant, il reste plus de douze mois avant le Congrès, une éternité. Xi a encore le temps de changer d’avis.

ATTENTION À LA JEUNESSE POLITISÉE

La rencontre estivale a laissé derrière elle le sentiment que peu de compromis ont été atteints. Elle semble aussi indiquer que la position de Xi Jinping demeure fragile, malgré tous les efforts idéologiques déployés au sein du Parti et de la population. Soit les nouvelles mesures mises en place par le ministère de l’Éducation afin d’intégrer la pensée de Xi dans les programmes scolaires de tout le pays. Alors que les étudiants chinois ne peuvent maintenant plus jouer aux jeux vidéo ou encore prendre des cours particuliers, ils auront le temps de lire et d’en apprendre plus sur la pensée du numéro un chinois. Or la dernière fois que les étudiants ont été politisés – lors de la Révolution culturelle -, les choses ont rapidement tourné au vinaigre pour le Parti. Il serait donc bon de revoir ces restrictions, car les jeux vidéo et les cours privés permettaient aux étudiants de ne pas trop penser aux questions politiques.
En fin de compte, Pékin préfère mettre l’accent sur les questions idéologiques, au lieu de s’attaquer aux problèmes économiques du pays. Pourtant, les cadres séniors du Parti veulent entendre les solutions de Xi au ralentissement économique. La plupart d’entre eux ne s’intéressent guère à son programme idéologique. Un programme qui, en plus de menacer d’exploser au visage du Parti, ne règle en rien des problématiques structurelles comme le chômage.
Par Alex Payette
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